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Interview vérité avec Jean-Claude Barny, le réalisateur de « Nèg Maron » et « Le Gang des Antillais » (Partie 1)

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Par Lise-Marie Ranner-Luxin

 

Jean-Claude Barny qui prépare son prochain film sur Frantz Fanon, nous a confié son ressenti sur l’actualité mais s’est davantage penché sur son rapport au cinéma français, aux difficultés qu’il a rencontrées face à ceux qui étaient censés l’aider. Reconnaissant, il n’oublie pas pour autant d’autres qui ont cru en lui et pris des risques, comme son fidèle ami Mathieu Kassovitz, Olivier Laouchez de Trace TV, Elizabeth Arnac, Keyza Nubret, Gilles Camouilly, et son producteur Sébastien Onomo. L’occasion pour lui de mettre les choses au clair, il a choisi Black News pour vider son sac.

 

« La porte » consolide son envie d’être dans le cinéma

Arrivé en France à l’âge de 6 ans, Jean-Claude Barny se souvient du melting pot qui régnait dans la banlieue. Originaire de la Guadeloupe et de Trinidad et Tobago, « mes parents avaient gardé leur culture afro-caribéenne » dit-il. « J’ai toujours aimé le cinéma depuis l’âge de huit ans, j’étais attiré par le cinéma de minuit en noir et blanc, et par les films italiens plus que par les comédies françaises ». C’est avec le Mouvement Hip-Hop que son envie de faire du cinéma se fait sentir : « ceux qui avaient envie de s’exprimer pouvaient le faire dans le Rap, la danse, le Graff. Ma rencontre décisive est celle avec Mathieu [NDLR Kassovitz]. J’avais envie de parler, J’ai fait mon court-métrage ».

Cette « Putain de porte » avec Saïd TaghmaouiBenoît MagimelVincent CasselMathieu Kassovitz et Léa Drucker va littéralement consolider son envie d’être dans le cinéma. Cette porte – une sorte de métaphore -, que des jeunes de banlieue n’arrivent pas à franchir mais qui, à force d’insistance et de persévérance, font finir par y arriver. Mais celui qui va lui ouvrir la « porte du cinéma », c’est son ami Mathieu Kassovitz qui va lui confier le casting de son film La Haine. « Quand tes potes voient ta valeur… Mathieu connaît mon amour du cinéma, il savait que j’en étais capable, il voulait que je fasse la toile d’arrière fond, sans renier notre côté urbain ». Et c’est encore Mathieu Kassovitz qui va le pistonner comme stagiaire metteur en scène auprès de Jacques Audiard sur son long-métrage Un héros très discret.

 

 

 

« Il y a des films fragiles qu’il faut porter, et il faut savoir les porter dans la communauté »

Fort de son expérience, Jean-Claude Barny confesse : « je suis allé voir les quelques référents qui avaient réussi à faire leur trou dans la communauté, je n’ai pas eu de retour. Ils n’ont jamais su mettre en avant les jeunes réalisateurs à qui ils auraient pu donner leur chance. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’ils n’étaient pas dans une sincère démarche communautaire. Ma génération voulait sortir de l’image « doudouiste » de l’époque. Et justement à cette époque, on est venu me chercher en Guadeloupe. Les producteurs du cinéma d’auteur aiment prendre des risque économiques et artistiques et vont chercher la personne la plus adéquate, tandis que nous, on nous a imposé depuis toujours à ne pas faire de vague, voire de Nouvelle Vague ». Il continue : « mon cinéma est en rupture, j’ai toujours gardé ma ligne, ma philosophie ».

L’enjeu était pour Jean-Claude Barny d’apporter quelque chose de nouveau. « Il y a des films fragiles qu’il faut porter, et il faut savoir les porter dans la communauté c’est là où on solidifie un film » Il ajoute : « on veut des comédies ou des contestations ? Prenez « Tout simplement noir ou 32 couleurs qui sont des films nécessaires, qui correspondent à des valeurs et des combats, et bien, il faut montrer qu’on est capable de faire des films conscients pour le grand public et dans des genres totalement différents, thriller, drame et historique ».

 

« Avec Nèg Maron,  j’avais envie de montrer qu’on vient de quelque part »

C’est en réalisant le clip de Doc Gynéco Né ici en Guadeloupe que Jean-Claude Barny prend conscience que son travail de réalisateur doit se faire sur son île, là où il doit être utile à sa communauté. Il raconte : « Ce clip me porte et me donne l’envie de réaliser et de casser les préjugés qu’on avait sur nous et de montrer notre sensibilité ».

 

 

Il s’installe donc en Guadeloupe, travaille son scénario, et tourne son premier long métrage. « Avec Nèg Maron, j’avais envie de montrer qu’on vient de quelque part, donner une dignité sociale à notre vie ». Les références à Cassavetes, Spike Lee, Stanley Kubrick sont là. « Je voulais un mélange de vérité avec des personnages qui ont un leadership naturel, comme Admiral T et D. Daly qui sont des acteurs en puissance. On a toujours manqué de personnages héroïques contemporains. C’est pour ça qu’on a des identifications américaines pour incarner nos luttes et nos revendications ». Il ajoute : « le cinéma, c’est la rupture, c’est la découverte » il précise : « notre regard est souvent tourné politiquement vers les Américains, Malcom X, les Black Panthers, Martin Luther King, Rosa Parks, bien avant Césaire et Fanon qui étaient le Pré carré des intellectuels ».

 

« Elizabeth comprend elle que ça peut tenir s’il y a une énergie sans appropriation culturelle »

Nèg Maron « c’est le Big bang dans le cinéma d’auteur » dit Jean-Claude Barny. « Mais il n’y a aucun relais médiatique pour en parler » regrette le réalisateur. Il ajoute : « Le film fait un carton aux Antilles et France ». Et c’est justement ce succès qui se reflète sur l’impact et les personnes qui ont été secouées par le film dont Elizabeth Arnac, qui vient lui proposer un projet fou jusqu’en Guadeloupe. « Je lui dis que je suis en Guadeloupe, elle me répond que ce n’est pas grave. Encore une prise de risques ». Elle lui propose donc Tropiques amers, une série historique sur l’esclavage aux Antilles, tournée à Cuba et en Martinique, en six épisodes.

 

« La Diversité, ce n’est pas que mettre des Noirs ou des Arabes à l’écran, c’est une culture, une identité, et surtout une signature. C’est comme Spike Lee qui avait dit qu’il était hors de question que ce soit un Blanc qui fasse Malcom X ! »

 

« Tropiques Amers, c’est 6 fois 52 minutes. En télé, normalement, c’est au moins 3 réalisateurs pour que chacun prenne un ou deux épisodes à diriger. Elisabeth Arnac m’impose comme réalisateur et tient tête à tout le staff de France Télévisions. Ils étaient paniqués à l’idée qu’un jeune noir fasse un projet pareil » dit-il. « Je ne connaissais pas la télé, je ne voulais pas faire du Racines qui n’a rien à voir avec notre culture, notre identité, on avait quelque chose à apporter. Là encore c’est un carton ». La même productrice lui propose quelques temps plus tard Rose et le Soldat. Et là, Jean-Claude Barny pense qu’il a fait ses preuves « Je vais à nouveau voir un couple de producteurs afro-caribéens qui ont un ticket de la part de France Télévisions pour faire des films. Mais la Diversité, ce n’est pas que mettre des Noirs ou des Arabes à l’écran, c’est une culture, une identité, et surtout une signature. C’est comme Spike Lee qui avait dit qu’il était hors de question que ce soit un Blanc qui fasse Malcom X ! Et là encore, …silence radio » ! Une mauvaise expérience sur laquelle il n’a pas souhaité s’étendre davantage.  « Elisabeth, elle comprend que ça peut tenir s’il y a une énergie sans appropriation culturelle. Elle me propose donc Rose et le soldat, et de nouveau ça fonctionne ». Ce téléfilm traite de l’histoire de la Martinique pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

 

 

« Le cinéma français préfère produire des films où le Noir est neutralisé, donc la comédie »

Les histoires des minorités sont toujours difficiles à défendre et Jean-Claude Barny en a conscience. « Le cinéma préfère produire des films où le Noir est neutralisé, donc la comédie, tout en ayant une prise de conscience sur sa négritude, à tel point que c’est un cinéma de schizophrène et le public le perçoit fatalement plus tard ». Une direction que le réalisateur n’a pas voulu prendre. Il poursuit : « Je n’ai pas pris cette voie parce que je savais pertinemment que le succès est à double tranchant. Il cannibalise par son box-office d’autres films qui pourraient exister et être relayés et qui sont audibles ».

 

« Pour qu’on soit respecté, il faut de l’action »

L’engagement au cinéma désigne non seulement l’implication d’un réalisateur et de son équipe (techniciens, acteurs) dans un projet, mais il s’inscrit également par les thématiques adoptées dans un projet. Jean-Claude Barny explique : « pour qu’on soit traité à égalité, il faut qu’on produise, qu’on réalise, il faut de l’action ! Ces films existent mais leur modèle économique est très souvent sous-financé qu’ils ne peuvent pas résister face aux Blockbusters, c’est pour ça qu’on demande à la communauté de venir le plus rapidement en salle et nombreux, sinon le film sort dramatiquement des salles au bout d’une semaine. Je peux remercier mon public qui est solidaire et qui me permet de faire encore des propositions. Il poursuit : « Mon identité, elle est nègre, mais pas le Nègre d’Agatha Christie. Mes films sont très orientés, mais totalement en phase avec la population humaine pas forcément noire, et c’est ce que défendait Frantz Fanon. J’ai une construction intellectuelle, une colonne vertébrale film après film. Je veux comprendre dans quel monde on me propose de vivre ».

 

 

Le gang des Antillais : « réalisateur afro, producteur afro, une expérience cinématographique »

Pour qu’un film fonctionne, il faut parfois des prises de position de réalisateurs ou des acteurs qui s’engagent. « Ce projet, je le portais depuis longtemps pour deux raisons. On était en mal de personnage contemporain, et le parcours de Loïc Lery, qui cherchait le chemin de l’insoumission, choisit la rédemption ». « Le gang des Antillais », ajoute-il, « c’est un réalisateur afro, et un producteur afro Sébastien Onomo. Tous les gens qui viennent sur ce film sont des militants. Romane Bohringer, Mathieu Kassovitz, Eriq Ebouaney qui tourne avec des grands vient, Djédjé Apali… » Il précise : « Le gang, c’est une expérience cinématographique produit avec du talent, pas d’argent, pas de temps, pour un film d’époque ». Sur son producteur, il déclare : « La culture de Sébastien, c’est : beaucoup préparer pour bien faire. Sa « spécial touch », c’est de travailler en sous-marin pour monter ses projets, et ensuite les présenter dans de meilleures conditions. C’est une politique qui est la mienne. Les projets sont compliqués à monter artistiquement et financièrement, et je préfère être dans le dur ; je ne m’éparpille pas ».

 

« Ceux qui nous représentent ne savent pas la valeur de la diaspora »

L’entretien se poursuit, Jean-Claude Barny est sur sa lancée : « On peut se regarder dans les yeux, mais il faut savoir ce qu’on veut ! Ceux qui sont censés nous représenter ne savent pas, à mon sens, la valeur de notre diaspora dans leur compétence individuelle. Ils globalisent la diaspora et ne réagissent pas assez durement sur des discriminations et des thématiques d’exclusion. Cette égalité sur laquelle ils veulent négocier ne leur sera jamais donner de la part du pouvoir en face. Ils finissent par ressembler aux gens qui nous discriminent. Silence sur les œuvres qui se font et qui méritent d’être portées. J’essaie de faire des films précieux. Tant que les décisionnaires et les journalistes de notre communauté ne se mobiliseront pas pour notre culture, ça ne marchera pas. Ils ne s’emparent pas des outils culturels que nous leur proposons. Exemple, une œuvre cinématographique a pour vocation à réunir un public, donc aussi une population sur un moment précis et qui porte une réflexion. Pour faire sens dans une communication, il faut ce moment temporel pour savoir où nous en sommes et que faisons-nous et où allons-nous ? Les politiques et les médias peuvent avoir une influence sur le modèle économique du cinéma caribéen, si la connexion se fait. C’est valable en cascade dans le monde littéraire, du théâtre et la musique. C’est l’art qui relie la population a ses dirigeants ».

 

« Il nous manque ce média où on aurait pu dire dans beaucoup de diversité linguistique ce que nous sommes vraiment »

« Aujourd’hui, ce qui nous manque, c’est un plateau télé où majoritairement des chroniqueurs sont de la communauté, débattent voire tabassent sur des sujets qui font l’actualité ou pas, soit un prisme qui ne m’est pas excluant ou discriminant » regrette le réalisateur. Il poursuit : « J’ai envie de retrouver mon orgueil en regardant la télé. Les Blancs ne savent pas ce qu’on pense. S’ils veulent savoir ce qu’on ressent, il nous manque ce média où on aurait pu dire dans beaucoup de diversité linguistique ce que nous sommes vraiment. France Ô n’a pas fait ce choix éditorial et s’est trop longtemps positionnée comme une sous-chaîne d’Ushuaia voyage et de télénovelas. Si France Ô avait eu cette intelligence au lieu de populariser Zemmour à qui il ont donné une de ses premières tribunes pour structurer son discours de haine, et séparatiste. L’ADN de France Ô n’était pas très clair, et s’ils avaient gardé Gilles Camouilly qui était en train de faire un formidable travail pour que la chaîne ait enfin une vraie identité, cette chaîne ne serait pas fermée ! Elle n’a jamais été prise au sérieux par France Télévisions. Il poursuit très amer : « le grand drame de cette chaîne, c’est de ne pas avoir fait travailler des gens de la communauté, réalisateurs d’émission, rédacteurs, techniciens.

 

« Ce n’est pas parce qu’on a 3 présentateurs ultra-marins que c’est une chaîne ultra-marine. France Ô, c’était la chaîne culinaire, pas consciente […] Ils ont sacrifié une génération de cinéastes en ne les faisant pas, même occasionnellement, travailler »

Ce n’est pas parce qu’on a 3 présentateurs ultra-marins que c’est une chaîne ultra-marine. On est discriminé sur les autres chaines, et en plus sur la nôtre ? C’est comme la nomination de Jean-Marc Ayrault à la tête de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, c’est un black face ! France Ô, c’était la chaîne culinaire, pas consciente. Pourquoi on n’aurait pas des choses à dire ? Tous mes potes réalisateurs, France Ô ne les a pas fait manger, ils ont sacrifié une génération de cinéastes en ne les faisant pas, même occasionnellement, travailler comme réalisateurs d’émission ou d’épisode, ce qui se fait depuis toujours dans l’historique de la télé. Prenez l’exemple de Spielberg ou Cassavetes qui n’auraient pas exister sans leur premier téléfilm, et en France on peut citer Audiard et Blier ». Jean-Claude Barny n’oublie pas aussi Keyza Nubret qu’il tient particulièrement à remercier : « elle fait un travail extraordinaire de lien entre la communauté caraïbéenne et africaine. Elle est venue voir les rushs de Nèg Maron, elle a fait en sorte que le film ait un écho. Elle travaille pour la communauté, elle fait un travail de développement et sait employer le mot talent pour nos individualités ».

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