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Entretien avec Serge Romana, initiateur de la manifestation parisienne en mémoire de George Floyd

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Par Lise-Marie Ranner-Luxin

Le préfet de police de Paris a annulé la manifestation qui était prévue mardi 2 juin en l’honneur d’Adama Traoré, symbole des violences policières en France. La manifestation organisée à l’initiative de Serge Romana en mémoire de George Floyd, a pu, elle, se tenir lundi 1er juin à proximité de l’ambassade des Etats-Unis en toute solennité.

Serge Romana est d’origine Guadeloupéenne, professeur de médecine et généticien. Il est aussi ancien président du Comité Marche du 23 Mai 1998 (CM98), association créée à la suite de la marche du 23 mai 1998, manifestation ayant rassemblé, à Paris, quarante mille personnes en mémoire des victimes de l’esclavage colonial. Le CM98 a pour objectif de défendre la mémoire des victimes de l’esclavage, de prendre en charge les dysfonctionnements des Antillais hérités de l’esclavage et de favoriser leur insertion au sein de la République.

Black News : Le rassemblement que vous avez initié était plutôt timide contrairement aux autres villes européennes, vous craigniez les débordements ?

Serge Romana : Ce qui s’est passé, c’est que dimanche matin je n’en pouvais plus. Je suis de la génération d’Angéla Davis, Martin Luther King, les droits civiques résonnent dans ma tête.  C’est en moi ce combat, en moi Katrina, j’ai réagi parce que j’ai une proximité avec les Afro-américains. Je n’en pouvais plus, tout ça a fait écho, les assassinats, le kkk, ce racisme structurel. C’est un cri du cœur.

Black News : On avait l’impression que seuls les Ultra-marins étaient conviés à manifester alors que les victimes de violences policières sont avant tout les Africains d’origine Subsaharienne ?

Serge Romana : C’est la solidarité des descendants. Nous avons en tant qu’Antillais une histoire commune avec les Afro-américains. Je suis solidaire de cette insurrection, même si je suis tout seul, je serais toujours là.

Black News : Et le reste de la communauté noire de France ?

Serge Romana : C’est un doux rêve. Il y a une communauté noire aux Etats-Unis, mais pas en France. Les Africains savent qui ils sont, contrairement aux Antillais. Prenez les Soninkés par exemple, leur problème, c’est d’envoyer de l’argent dans leur village, pas leurs origines. Ils savent ce qu’ils sont où ils veulent aller. Un état d’esprit qui leur permet de pénétrer la politique. D’ailleurs, je suis étonné qu’aucune association n’ait appelé à manifester. Si j’étais aux Etats-Unis, je serais dans ce mouvement. Depuis l’instauration des Lois Jim Crow, je partage la douleur du musicien de jazz, la douleur de Malcom X, de Matin Luther King, les malades noirs du Covid, les prisons.

« Nous ne voulions pas de rapport de force. Pour que la manifestation ait lieu il fallait qu’elle soit maitrisée. Nous voulions communier rendre hommage solennellement avec le rituel d’un genou à terre. »

Manifestation à Paris pour George Floyd

Black News : Les manifestants des autres pays on fait fi des autorisations et ont même bravé des couvre-feux pour manifester. Pourquoi pas vous ?

Serge Romana : Nous ne voulions pas de rapport de force. Pour que la manifestation ait lieu, il fallait qu’elle soit maitrisée. Nous voulions communier, rendre hommage solennellement avec le rituel d’un genou à terre.

Black News : C’est remonté jusqu’aux politiques selon vous ?

Serge Romana : Je m’en fous ! Ça a été vu plus d’un million de fois, il fallait que tous les gens soient présents et pas plus de 100.

Black News : Pourtant 300 personnes ont participé lundi à Bordeaux à un rassemblement statique en hommage à George Floyd ?

Serge Romana : C’est magnifique, d’ailleurs Karfa Diallo le président de l’association Mémoires et partages, m’a félicité pour cette initiative. Nous collaborons sur la politique mémorielle de l’esclavage. Marce Lourel aussi a réuni une cinquantaine de manifestants à Douai. Vous savez, en 2013, le CM98 avait réuni toutes les associations anti racistes, suite aux propos discriminant sur Christiane Taubira. C’était inédit.

Black News : Le préfet de police vient d’interdire la manifestation en mémoire d’Adama Traoré qu’est-ce que vous en pensez ?

Serge Romana : C’est une mort tragique, toute la lumière doit être faite. La France n’est pas les Etats-Unis mais il y du racisme dans la police française. Aussi par respect pour Martin Luther King, pour les droits civiques, il ne faut pas faire de copier-coller avec les Etats-Unis. Ce n’est pas en culpabilisant la France qu’on avance. Je suis bien placé pour le savoir en tant que Guadeloupéen dont l’île a connu les événements tragiques de 1967.

Black News : Sans faire de copier-coller, la statue de Victor Schoelcher a été détruite en Martinique comme certaines qui rappelaient l’esclavage et la ségrégation aux Etats-Unis…

Serge Romana : Je comprends qu’on veuille abattre le Schoelcherisme, mais ce que les gens n’ont pas compris, c’est que Schoelcher était partisan de l’abolition immédiate de l’esclavage, et c’était un ennemi des Békés. Le Schoelcherisme, c’est le fait des Mulâtres. Savez-vous qu’un seul président de la République est venu devant sa statue ? Macron en 2018.

Black News : Que pensez-vous du silence des politiques en France sur la mort de George Floyd ? Aucune déclaration, aucune solidarité.

Serge Romana : Ce n’est pas acceptable. Je ne me fais aucune illusion sur eux. Il y a un paternalisme effrayant de ce pays. Vous trouvez ça normal que ce soit un Nantais qui soit en charge de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage ? Dans n’importe quelle autre communauté, ça ne serait pas acceptable. Pourtant, on m’a proposé d’en être le vice-président, et j’ai refusé. Je l’ai dit à Jean-Marc Ayrault en face. C’est un Hold up ! Il y a un proverbe créole qui dit : « lè bariè ba bèf ka gembé » : « Quand les barrières tombent, les bœufs sortent de l’enclos ».

Black News : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Serge Romana : Vous savez, je passe mon temps dans nos archives, à la recherche de nos aïeux. Vous pouvez trouver le nom de votre aïeule sur le site Anchoukaj. Le CM 98 a aussi des groupes de parole pour que les gens comprennent comment ils fonctionnent. Comme la matrifocalité, le système d’organisation familiale, centré sur la mère et la famille maternelle, très répandue dans les Antilles françaises, et aux États-Unis. Les hommes comprennent enfin pourquoi ils sont des fils.

Anchoukaj : http://www.anchoukaj.org/

http://cm98.fr/

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