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Nigéria. Quand une discussion #WhatsApp mène à une condamnation à mort

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Par Lise-Marie Ranner-Luxin

 

Au Nigéria, la #charia s’applique de façon impitoyable pour #blasphème, même pour les mineurs. Omar Farouq, 13 ans, et Yahaya Sharif-Aminu, un artiste, ont été condamnés pour ce délit. Une dispute enregistrée et affichée dans un groupe de #WhatsApp avait conduit à la condamnation à mort de l’artiste par pendaison le 10 août dernier. Quant à Omar, il a été accusé d’avoir tenu des propos grossiers à l’égard d’Allah lors d’une dispute avec un ami. 

 

Un enregistrement largement diffusé, qui a provoqué l’indignation

Yahaya Sharif-Aminu, le condamné à mort, dans un enregistrement qui a été largement diffusé, a provoqué une indignation massive dans l’État de Kano très conservateur à majorité musulmane. Le document du jugement indique que le jeune homme a fait « une déclaration blasphématoire contre le prophète Mahomet dans un groupe WhatsApp », ce qui est contraire au code pénal de la charia de l’État de Kano et constitue un délit passible de la peine de mort. « Quiconque insulte, diffame ou prononce des paroles ou des actes susceptibles de manquer de respect … une telle personne a commis un crime grave qui est punissable de mort », selon une traduction des documents fournis à CNN par ses avocats. Sharif-Aminu, décrit par son ami Kabiru Ibrahim comme « gentil, religieux et dévoué », a admis les accusations de blasphème lors de son procès, et déclaré avoir commis une erreur.

 

En vertu de la charia, une confession volontaire est obligatoire, et il n’y a pas de représentation légale

Les avocats de la Fondation pour la liberté religieuse (FRF), une organisation à but non lucratif visant à protéger la liberté religieuse au Nigeria, qui représente Sharif-Aminu, ont déclaré à CNN qu’il n’a pas été autorisé à avoir accès à un conseil juridique pour faire appel de sa condamnation. Selon les avocats, le tribunal de la charia a ajourné son affaire à quatre reprises parce qu’aucun avocat du Conseil d’aide juridique ne s’est présenté pour le représenter, probablement en raison de la sensibilité de l’affaire. Le tribunal de la charia est toutefois tenu par la loi de fournir une représentation juridique.

 

L’imam Bashir Aliyu Umar : « Ici les gens tiennent le prophète Mahomet plus haut que leurs parents »

Le FRF a déclaré qu’il avait déposé un appel au nom de Sharif-Aminu auprès de la haute cour de Kano, un tribunal de droit commun doté de pouvoirs constitutionnels. Selon Kola Alapinni, l’avocat du jeune homme, « les lois de l’État qu’il est accusé d’avoir enfreintes sont en conflit flagrant avec la constitution nigériane ». Le gouverneur de l’État de Kano, Abdullahi Ganduje, a de son côté déclaré à des religieux de Kano qu’il signerait l’arrêt de mort de Sharif-Aminu « dès que le chanteur aurait épuisé la procédure d’appel », selon les médias locaux. « Je vous assure qu’immédiatement après confirmation du jugement par la Cour suprême, je le signerai sans aucune hésitation » a déclaré Ganduje, selon le journal Daily Post du Nigeria. L’imam Bashir Aliyu Umar, qui n’est pas lié à l’affaire, mais qui a déclaré avoir lu la transcription du procès, a déclaré à CNN : « Aucun musulman ne le tolérera. Les gens tiennent le prophète Mahomet plus haut que leurs parents, et quand des choses comme cela se produisent, cela conduit à une rupture de la paix à cause des réactions de la population et des attaques contre les accusés ». L’organisation des droits de l’homme Amnesty International a qualifié le procès de Sharif-Aminu de « parodie de justice » et a appelé les autorités de l’État de Kano à annuler sa condamnation à la peine de mort.

 

L’athéisme mal vu au Nigéria

Au Nigeria, la nation la plus peuplée d’Afrique, la religion imprègne toutes les facettes de la vie, avec des prières dans les écoles et les bureaux publics. En plus du blasphème, l’athéisme est mal vu dans le nord, majoritairement musulman, ainsi que dans certaines parties du sud, majoritairement chrétien. Gare à celui qui oserait la moindre allusion envers le prophète. C’est ce qui est arrivé le 28 avril de cette année, à Moubarak Bala, président de l’association humaniste nigériane, qui a été arrêté à Kaduna, un autre État du nord, après avoir prétendument posté un message sur sa page Facebook affirmant qu’un prédicateur évangélique nigérian était meilleur que le prophète Mahomet. Sa famille et ses avocats ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils ne l’avaient plus revu ni entendu depuis. Moubarak Bala est toujours détenu sans inculpation et n’a pas été autorisé à communiquer avec ses avocats ou sa famille, selon l’USCIRF.

 

« Enfant, je me souviens avoir vécu dans un état de coexistence harmonieuse presque oublié dans le Nigéria d’aujourd’hui » Wole Soyinka 

Wolé-Soyinka

Wolé Soyinka

Le dramaturge nigérian et prix Nobel de littérature en 1986 Wole Soyinka, fait partie de ceux qui ont récemment envoyé un message de solidarité à Moubarak Bala, après son 100e jour de détention, le 6 août. « Enfant, je me souviens avoir vécu dans un état de coexistence harmonieuse presque oublié dans le Nigéria d’aujourd’hui, alors que le fléau de l’extrémisme religieux empirait », a écrit Soyinka, ancien prisonnier politique, « je vous écris aujourd’hui pour vous dire que vous n’êtes pas seul, qu’il y a toute une communauté à travers le monde qui se tient à vos côtés et qui se battra pour vous ».

 

Les tribunaux de la charia peuvent condamner à des lapidations, amputations, flagellations

Depuis leur réintroduction en 1999, la charia est pratiquée parallèlement au droit laïque dans de nombreux États du nord du Nigeria. Les tribunaux nigérians de la charia peuvent également condamner les personnes reconnues coupables de délits à la lapidation, à l’amputation et à la flagellation. Si les deux premiers ne sont plus pratiqués, « la flagellation est une punition assez courante pour de nombreux crimes, en particulier le vol », selon l’USCIRF.

Une seule peine de mort prononcée par les tribunaux de la charia a été exécutée, selon Human Rights Watch. Sani Yakubu Rodi a été pendue en 2002 pour le meurtre d’une femme, de son fils de quatre ans et de sa petite fille. Mais ce qui a alerté les associations des droits de l’homme c’est que le Nigéria condamne également de manière impitoyable de très jeunes adolescents et parfois pour des faits d’une grande banalité.

 

Le Nigeria condamne un garçon de 13 ans à 10 ans de prison pour blasphème

Omar-Farouq

Omar Farouq

Omar Farouq a été condamné par un tribunal de la charia dans l’État de Kano, au nord-ouest du Nigeria, après avoir été accusé d’avoir tenu des propos grossiers à l’égard d’Allah lors d’une dispute avec un ami. L’adolescent a été condamné le 10 août par le même tribunal qui a récemment condamné à mort Yahaya Sharif-Aminu, pour avoir blasphémé. « La punition du jeune Farouq est en violation de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et de la constitution nigériane », a déclaré son avocat Kola Alapinni, qui a déclaré à CNN qu’ils avaient déposé un appel en son nom le 7 septembre. L’avocat a déclaré que la mère de Farouq s’était enfuie dans une ville voisine après que la foule se soit abattue sur leur maison à la suite de son arrestation. « Tout le monde ici a peur de parler et vit dans la crainte d’attaques de représailles », a-t-il déclaré. L’UNICEF a publié une déclaration exprimant sa profonde inquiétude : « La condamnation de cet enfant, Omar Farouq, 13 ans à 10 ans de prison avec travaux forcés est une erreur », a déclaré Peter Hawkins, représentant de l’UNICEF au Nigeria. « Elle est également contraire à tous les principes fondamentaux des droits de l’enfant et de la justice pour mineurs que le Nigeria et par conséquent l’État de Kano a signé ».

 

Le blasphème est incompatible avec la constitution du Nigeria

L’UNICEF a demandé au gouvernement nigérian et au gouvernement de l’État de Kano de réexaminer d’urgence l’affaire de Omar Farouq et d’annuler la sentence, a déclaré l’organisation dans un communiqué.

« Cette affaire souligne encore plus l’urgente nécessité d’accélérer la promulgation du projet de loi sur la protection de l’enfance de l’État de Kano afin de garantir que tous les enfants de moins de 18 ans, y compris Omar Farouq, soient protégés – et que tous les enfants de Kano soient traités conformément aux normes relatives aux droits de l’enfant », a déclaré M. Hawkins. Le jeune Farouq a été jugé comme un adulte parce qu’il a atteint la puberté et qu’il est pleinement responsable en vertu de la loi islamique. Maitre Alapinni a déclaré à CNN que lui-même ou d’autres avocats travaillant sur l’affaire n’ont pas été autorisés à voir Farouq. Il ajoute avoir découvert l’affaire Farouq par hasard alors qu’il travaillait sur le cas de Sharif-Aminu, qui a été condamné à mort pour blasphème par la Haute Cour de la Charia de Kano. « Nous avons découvert qu’ils ont été condamnés le même jour, par le même juge, dans la même cour, pour blasphème et nous avons découvert que personne ne parlait d’Omar, donc nous avons dû agir rapidement pour faire appel pour lui » a-t-il dit. Il précise : « Le blasphème n’est pas reconnu par la loi nigériane. Il est incompatible avec la constitution du Nigeria ».

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