Hommage à Sarah Maldoror, pionnière du cinéma panafricain
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Par Lise-Marie Ranner-Luxin
La cinéaste Sarah Maldoror vient de nous quitter, elle aussi touchée par le Coronavirus à l’âge de 90 ans. Figure de proue du cinéma africain, elle est la première réalisatrice du continent.
Née, d’un père guadeloupéen et d’une mère du Sud-Ouest, elle avait choisi le nom Maldoror en hommage au poète surréaliste Lautréamont. A son actif plus de 40 films courts et longs-métrages, de fictions et documentaires. Car Bien avant Euzhan Palcy et Ladj Ly, il y a eu Sarah Maldoror. Son œuvre est celui d’une combattante, d’une résistante, d’une insoumise, son arme, sa caméra.
Au début, il y avait les Griots
« Je vous parle d’un temps que les jeunes de 20 ans ne peuvent pas connaitre ». Ces paroles de la Bohème de Charles Aznavour résument l’ambiance du Paris d’après–guerre. Le paysage culturel, est teinté de présence noire. Le Jazz qui résonne dans les caves, les G.I afro-américains qui ont la côte auprès des jeunes filles de bonne famille, les tournées de la troupe de ballet de l’afro-américaine Katherine Dunham et la troupe de ballet Fodéba Keïta qui deviendra plus tard le Ballet National de la République de Guinée. C’est le temps ou les journaux donnent la parole aux Noirs, tels que La Revue du Monde Noir, Légitime Défense, L’Étudiant noir ou Tropiques, édité par Aimé Césaire au début des années 1940. C’est dans ce contexte que Présence Africaine voit le jour. La revue est créée en 1947 par Alioune Diop, professeur de philosophie né au Sénégal, avec le soutien d’intellectuels, écrivains ou anthropologues, tels que Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright, Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, Théodore Monod, Georges Balandier ou Michel Leiris, mais aussi Joséphine Baker, James Baldwin, Picasso. Et à l’initiative de Présence Africaine se tient à La Sorbonne le 16 septembre 1956, le Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris. Un événement historique, comme il n’en existera plus. Une centaine peut-être plus, d’écrivains et artistes noirs venus du Brésil de l’Inde des Caraïbes, des États-Unis et des quatre coins de l’Afrique discutent de la question raciale en période de décolonisation. Parmi tous ces hommes politiques et intellectuels, se trouvent des amoureux du théâtre comme Ababacar Samb Makharam du Sénégal, Toto Bissainthe d’Haïti et…Sarah Maldoror de la Guadeloupe. A l’époque il n’y a pas de compagnie de théâtre, ou alors de manière très éphémère. Des comédiens noirs certes, comme Habib Benglia, Darling Légitimus, mais pas de compagnie. C’est donc à partir de ce moment précis que ces amis comédiens amoureux du théâtre se rassemblent en compagnie, en pleine conscience, et Sarah Maldoror sera la première présidente de cette troupe appelée Les Griots. Leur objectif, partager et faire connaitre les textes des auteurs noirs, et offrir de grands rôles aux comédiens d’origine africaine.
« Pour beaucoup de cinéastes africains, le cinéma est un outil de la révolution, une éducation politique pour transformer les consciences. Il s’inscrivait dans l’émergence d’un cinéma du Tiers Monde cherchant à décoloniser la pensée pour favoriser des changements radicaux dans la société »
Le cinéma comme instrument politique
« Pour beaucoup de cinéastes africains, le cinéma est un outil de la révolution, une éducation politique pour transformer les consciences. Il s’inscrivait dans l’émergence d’un cinéma du Tiers Monde cherchant à décoloniser la pensée pour favoriser des changements radicaux dans la société » Cette citation de Sarah Maldoror résume la suite de sa carrière, car elle ne sera que politique et engagée. En 1961, Sarah Maldoror se rend à Moscou pour étudier le cinéma, sous la direction de Mark Donskoï. Sarah Maldoror sera engagée dans son art mais aussi dans sa vie privée. Après ce séjour soviétique, elle rejoint les pionniers de la lutte des mouvements de libération africains en Guinée, en Algérie et en Guinée-Bissau aux côtés de son compagnon, Mário Pinto de Andrade poète et homme politique angolais, fondateur et premier Président du MPLA Mouvement pour la libération de l’Angola et secrétaire d’Alioune Diop, le fondateur de Présence africaine. Avec lui, elle participera aux luttes de libération africaine et donnera naissance à deux filles, Annouchka de Andrade et Henda Ducados.
Décoloniser les pays, les arts, la pensée
Sarah Maldoror fait ensuite ses débuts cinématographiques à Alger, aux côtés de Gilo Pontecorvo sur La Bataille d’Alger (1965), puis de William Klein pour le Festival panafricain d’Alger (1969). Son premier film Monangambee (1969), adapté de la nouvelle de Luandino Vieira Le Complet de Mateus, traite de l’incompréhension entre le colonisateur et le colonisé. Plus tard, installée à Paris, elle privilégie le format du documentaire qui lui permet de définir au travers de portrait d’artistes, de poètes comme Aimé Césaire ou Léon-Gontran Damas et de précurseurs telle que Toto Bissainthe, l’horizon nécessaire à la réhabilitation de l’histoire noire et de ses figures les plus marquantes. Frédéric Mitterrand alors ministre de la culture qui lui avait remis les insignes de chevalière de l’ordre national du Mérite dira d’elle : « Sarah Maldoror a mis l’acuité de son regard au service de la lutte contre les intolérances et les stigmatisations de tous types et accorda une importance fondamentale à la solidarité entre les opprimés, à la répression politique, et à la culture comme unique moyen d’élévation d’une société ».