#Archives. Rita raconte Robert Nesta Marley, et les Wailers
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Propos recueillis par Awal Mohamadou
La grande héritière du pape du reggae, après un long silence et un interminable procès, qui a fait la une des gazettes, parle enfin… de son défunt mari, des Wailers, de Bunny, des affaires, de la venue d’Hailé Sélassié en Jamaïque…
Il y a les Gladiators, Black Uhuru, U-Roy… Il y a des rencontres plus ou moins enrichissantes et puis un jour, on vous annonce que Rita Marley vient en France. Et là, c’est autre chose ! Parce qu’au-delà de sa condition d’artiste jamaïcaine, Rita est partie prenante du rêve de Bob Marley. C’est une femme de Cuba, immigrée très tôt à Kingston, et dont l’existence fut bouleversée par sa rencontre avec celui qui deviendra le « prophète du reggae ».
Quand elle vous regarde au fond des yeux, vous ressentez une immense charge émotionnelle. C’est comme si l’âme errante de Nesta la nourrissait et irradiait son environnement immédiat. Je m’approche d’elle sous influence, avec respect, soumis à l’aura qui entoure cette femme au destin extraordinaire, dont on sait finalement peu de choses. Elevée par sa tante, elle a baigné dans le gospel, avant de créer les Soulettes, avec deux amies d’école. « A cette époque, nous étions le seul groupe de filles de l’île ; nous avons enregistré notre premier single, « Opportunity », en 1964, c’était du ska/rock steady ».
Par un curieux hasard, sa maison donne sur un chemin que Peter, Bunny et… Bob empruntent souvent pour aller au studio de Coxson. Rita a 16 ans, sa vie bascule !
« C’est Bob qui m’a parlé des principes rastas, mais il n’était pas dans le rastafarisme à cette époque. Il était plutôt dans la mouvance afro/soul brother, etc. C’est à partir de là qu’il a commencé à vraiment s’intéresser à la culture noire, à Hailé Sélassié, Marcus Garvey. »
Black News : Expliquez-nous précisément comment vous avez rencontré Bob Marley…
Rita Marley : Les Wailers étaient déjà connus à cette époque ; ils avaient déjà fait « Summer Down » et « Rude Boy », et tout le monde disait : « woaw, ils assurent ! » Je devais avoir 16 ans et je voulais absolument leur parler. Je les voyais passer devant chez nous, mais j’étais effrayée par leur allure.
BN : Comment étaient-ils ?
R.M. : Des bad boys ! Ils roulaient les mécaniques, et faisaient peur, rien qu’à les voir (elle rit). Nous habitions dans la partie relativement aisée de Trenchtown, mais eux, venaient vraiment de la zone ; ils étaient donc « rough ». Et puis, un jour, je me suis décidée, et quand ils sont passés, j’ai crié : « Eh, je peux chanter avec vous ? » Ils m’ont regardée avec mépris, ils devaient penser : retourne chanter à l’église ! Qu’est-ce que tu veux chanter avec nous ? Bob et Bunny (Wailer) ont continué leur chemin, mais Peter a été plus cool. Il s’est arrêté et il m’a demandé sur un ton bizarre si je voulais chanter avec eux. En fait, il cherchait une petite amie plus qu’autre chose (elle en rit encore. Ndlr), je lui ai répondu « oui », et mon cousin (elle fait allusion à « Vision » Walker. Ndlr) également. Il m’a dit « Ok, un jour, on vous écoutera ». J’étais aux anges ! Un jour, ils se sont arrêtés et ils nous ont écoutés chanter. Ils ont dit : « Ce n’est pas mal, viens faire un tour au studio (celui de Coxson). Quand je l’ai raconté à mes copines, elles ont crié : « Si tu entres dans ce studio, on ne te reverra pas. »
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BN : On dit que c’est vous qui avez converti Bob au rastafarisme, qu’en est-il ?
R.M. : Disons que c’est lui qui m’a parlé des principes rastas, mais il n’était pas dans le rastafarisme à cette époque. Il était plutôt dans la mouvance afro/soul brother, etc. C’est à partir de là qu’il a commencé à vraiment s’intéresser à la culture noire, à Hailé Sélassié, Marcus Garvey. Après notre mariage (le 10 février 1966. Ndlr), Bob est parti aux Etats-Unis et il s’est passé un événement incroyable : la venue de Sa Majesté Hailé Sélassié en Jamaïque. Pour moi, ça a été une révélation !!! Le jour de son arrivée, il y a eu beaucoup de phénomènes atmosphériques inexplicables. Les rastas disaient que cet homme était Dieu, et j’ai voulu voir de plus près celui dont ils parlaient. Lorsque son cortège est passé devant moi, je l’ai vu ; il avait I’air si humble; il m’a regardée et j’ai senti la force du Lion, il a fait un signe des mains qui m’a fait voir une marque foncée dans ses paumes. Cela a été un choc !!! Car la Bible dit qu’on reconnaitra le Messie aux marques des clous dans ses mains. Imaginez le choc que j’ai eu en voyant les mains de Hailé Sélassié ! J’ai écrit à Bob pour lui dire qu’Hailé Sélassié était bien le Messie, que je l’avais vu et senti.
« Chaque fois qu’un Noir se lève pour défendre ses frères, on cherche à l’éliminer. »
BN : Que vous a-t‘il répondu ?
R.M. : Que j’étais devenue complètement folle. Je crois qu’il s’était un peu américanisé, il ne voulait donc pas entendre parler de rastafarisme. Mais lorsqu’il est rentré en Jamaïque, je lui en ai reparlé et il m’a dit : « Oh la la, tu as changé ». Et puis, peu à peu, bien des choses lui ont été révélées et là, je vous assure qu’il est devenu différent ; ce n’était plus le même homme !
BN : Ce qui surprend toujours en lisant les interviews qu‘il a données et en regardant les films d‘archives, c’est sa très grande lucidité. Bob Marley parlait de tout, il maîtrisait toutes les questions. Mais avait-il conscience que sa musique et son message survivrait à sa mort physique ? Au plus fort de sa popularité, avait-il la sensation de révolutionner la musique du XXe siècle ?
R.M. : Non, pas du tout. Il n’avait pas ce genre de vision, il disait toujours : il faut s’améliorer encore et toujours.
BN : D’aucuns affirment que ce sont des « forces racistes et réactionnaires » qui lui ont inoculé les cellules cancéreuses qui l’ont fait disparaître physiquement le 11 mai 1981. Que pensez-vous de cette theorie?
R.M. : De toute façon, chaque fois qu’un Noir se lève pour défendre ses frères, on cherche à l’éliminer. Nous savons bien cela. Alors, quand ils lui ont dit qu’il avait le cancer, j’ai pensé qu’ils cherchaient à I’éliminer, mais ils n’y sont pas parvenus parce que son message est plus vivant que jamais, sans parler de sa musique…
BN : Avez-vous encore en votre possession beaucoup d’inédits de Bob ? Si oui, à quel rythme allez–vous les sortir ?
R.M. : Oui, j’en ai beaucoup. Et pas seulement des enregistrements avec des morceaux finis, mais aussi des répétitions ou l’on entend Bob parler et rire. Chaque année, pour I’anniversaire, nous sortons des bandes.
BN : Quelles sont vos relations avec Chris Blackwell, l’ex-Pdg d’lsland?
R.M. : Chris Blackwell est au bureau de la Bob Marley Foundation avec mes enfants et moi.
BN : Le rôle de cette fondation ?
R.M. : Oh, beaucoup de choses… Nous distribuons des livres à enfants dans les écoles, nous éditons également des ouvrages sur l’histoire du peuple… Et puis, elle sert aussi à protéger les inédits de Bob (sourire).
« Bunny est fou !!! (…) Quand Bob travaillait dur pour établir sa musique, quand il portait son message à travers le monde, Bunny était en Jamaïque, en train de fumer… »
BN : Toujours au sujet de ces inédits, Island a sorti, l’année dernière, le coffret, Songs Of Freedom en tirage limité, un gros business ; « Iron Lion Zion » fait un carton dans les charts, mais Bunny Wailer fait des déclarations très dures dans la presse (reggae/world) américaine. IL dit avoir été escroqué ; que sa voix a eété retirée sur ce titre et sur « Why Should I« ... Que répondez–vous à ces accusations ?
R.M. : Bunny n’est pas content, je le sais, mais j’aimerais bien connaitre la raison. C’est le travail de Bob, non ?
BN : On parle de royalties non versées…
R.M. : Vous voulez que je vous dise… Bunny est fou !!! Il perçoit sa part sur les morceaux des Wailers, ça se passe le plus légalement du monde. Mais qui est Bunny pour freiner le travail de Bob ? Quand Bob travaillait dur pour établir sa musique, quand il portait son message à travers le monde, Bunny était en Jamaïque, en train de fumer… Voilà la vérité, vous pouvez l’écrire. Quand Bob bossait, Bunny « raisonnait » à n’en plus finir. Il était complètement défoncé, à force de fumer.
BN : Deux mots sur le procès concernant l‘héritage de Bob, je crois que vous avez eu gain de cause…
R.M. : Oui, mes enfants et moi avons gagné, après six ans de bataille juridique. Dans le fond, ils ne supportaient pas que des Noirs, pauvres, aient quelque chose. Pourquoi devrait-on toujours rester dans la misère ? Mendier, ne pas faire de business, on a dit : ça suffit !!! Six ans, mais on a gagné, man ! –
BN : Contrairement à Marcia Griffiths – votre ancienne complice des I-Threes – qui avait commencé une carrière internationale avant de faire les chœurs pour les Wailers, vous vous êtes lancée en solo au début des années 80…
R.M. : Qui, c’est cela. J’ai d’abord sorti Who Feels It Knows It, en 1982, puis Harambe (1986) et We Must Carry On, I’année dernière.
BN : Et maintenant les Greatest Hits. C‘est une pause dans votre carrière ou le signe qu‘ensuite vous passerez à tout autre chose?
R.M. : On peut dire que c’est le signe d’un nouveau départ. Cela fait trois ans que Tabata Music Y Letra (le label à l’origine de Ia compilation) me demandait de faire une compilation, mais j’avais tellement de responsabilités : il y avait le procès, il fallait que j’aide mes enfants à se lancer véritablement, bref, je n’avais pas le temps de penser à moi en tant qu’artiste. Aujourd’hui, je souffle un peu. Et puis, je me suis souvenue que j’avais enregistré des morceaux.
https://www.youtube.com/watch?v=3VK-Nlu3pbc
Rita Marley, Greatest Hits (Barclay)