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#Interview. Jean-Claude Barny parle de Frantz Fanon, son prochain film (Partie 2)

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Par Lise-Marie Ranner-Luxin

Jean-Claude Flamand-Barny s’attaque à un tout nouveau défi, la vie de Frantz Fanon, le célèbre écrivain, psychiatre, militant anticolonialiste martiniquais à qui l’on doit « Peau noire masques blancs » et « Les Damnés de la Terre ». Avec déjà à son actif deux longs métrages, Nèg Maron et Le Gang des Antillais, son cinéma est un véritable manifeste à sa culture afro-caribéenne.

Black News : Tout d’abord j’aimerais éclaircir un point sur votre patronyme, il faut vous appeler Barny ou Flamand-Barny ?

Jean-Claude Barny : Mon nom de naissance est Barny, c’est celui de ma mère. Flamand est arrivé avec la reconnaissance par mon beau-père à l’âge de 6 ans. Au divorce de ma mère, j’ai récupéré le nom Barny.

Black News : Après Nèg Marron et Le Gang des Antillais, vous avez comme projet de raconter la vie d’une icône, Frantz Fanon ?

Jean-Claude Barny : Fanon a nourri mon adolescence jusqu’à l’âge adulte. Il y est disséminé depuis mon premier film Nèg Maron où un des personnages principaux s’appelle Silex, nom qu’on lui donnait dans la communauté des intellectuels caribéens dans les années 50, Le guerrier Silex. Sa philosophie, son travail, ont fait ce que je suis, il m’a éduqué en tant qu’homme. C’est un auteur populaire, lu dans les banlieues.

Frantz Fanon

Black News : Comment avez-vous eu accès à Fanon ?

Jean-Claude Barny : Ce sont les villes communistes qui l’ont mis dans les bibliothèques et qui ont donné accès aux jeunes comme moi. Aujourd’hui, il est récupéré par des intellectuels, des journalistes, mais nous banlieusards, on connait Fanon avant sa soudaine popularité. Ses phrases sont extraites négligemment de leur contexte pour en faire des gimmicks philosophiques. Ce n’est pas servir sa cause, car il avait une vraie respiration sur l’homme nouveau. Ecoutez les magnifiques textes de La Rumeur et du rappeur Rocé. France Culture a aussi fait un documentaire avec beaucoup de témoignages que je vous conseille.

Black News : On connaît l’œuvre de Fanon mais très peu sa vie. A quelle partie allez-vous vous consacrer ?

Jean-Claude Barny : On connaît l’homme, sa pensée, mais on oublie aussi que la population ouvrière connait Fanon. Je veux que par-delà ses écrits, montrer la force qu’il a eu. J’ai choisi la guerre d’Algérie. Le film met l’accent sur la réalité du terrain qu’il a eu en tant que médecin psychiatre pendant la guerre.

Black News : C’est donc un choix artistique et politique ?

Jean-Claude Barny : Faire un film de cette sensibilité, c’est comme si on vous jetait d’un bus. On tient, il y a des convictions, ce sont des choix artistiques et politiques que mon producteur et moi faisons avec d’autres comédiens, techniciens. Le mot engagement n’est pas une posture.

« Fanon m’a permis d’avoir des arguments pour résister. Si on n’a pas les mots, on prend une kalachnikov. C’est l’aliénation dans un pays qui te refuse. »

Black News : Vous avez eu l’accord des ayants droit ?

Jean-Claude Barny : La collaboration se passe très bien avec Olivier son fils et sa fille Mireille. Ils ont compris le projet et ils nous accompagnent. Les organismes qui soutiennent financièrement le film et Sébastien mon producteur, sont conscients qu’inscrire le mot diversité ne peut être des propositions filmiques liées à la banlieue.

Black News : Fanon est mort très jeune à 36 ans comme Bob Marley, l’autre icône du Panafricanisme, qu’est-ce que ça vous évoque ?

Jean-Claude Barny : Ça m’évoque une vraie déception. Le fait que leurs parcours soient accidentellement très courts, me laisse imaginer tous ce qu’ils auraient pu faire pour continuer à nous éclairer et nous accompagner. A des époques diverses, ils ont chamboulé et gravé la pensée. Fanon m’a permis d’avoir des arguments pour résister. Si on n’a pas les mots, on prend une kalachnikov. C’est l’aliénation dans un pays qui te refuse. On a fait un autre choix, c’est que nos politiciens acceptent de mettre en place la paix sociale dans nos territoires. Une fois de plus c’est c’est une question d’orgueil

Black News : La Colonisation a-telle contribué à cette aliénation ?

Jean-Claude Barny : La France, de base, a toujours l’esprit de colonisation. On n’accepte plus le mot nègre, mais elle ne voit pas le problème. On n’est plus en phase intellectuellement avec la France. L’école qui devait être la matrice n’a pas fait le travail. Elle a favorisé une culture par rapport à une autre, elle aurait du parler d’égalité, elle a fabriqué de l’ensauvagement. C’est eux qui ont créé ça, c’est eux l’ensauvagement. Le mot égalité pose problème.

Black News : Quel comédien pour interpréter Fanon ?

Jean-Claude Barny : Tout comme le personnage est exceptionnel, il faut un comédien exceptionnel. Djédjé aurait pu parfaitement interpréter Fanon…

Black News : Frantz Fanon évoque à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, avez-vous ressenti vous aussi ce racisme dans le cinéma ?

Jean-Claude Barny : Très clairement, le milieu du cinéma est pris en otage par des producteurs populistes. Il faut être de mauvaise foi pour dire que c’est un métier qui a participé à l’intégration de comédiens noirs. Bien au contraire, il n’a fait que discriminer avec des caricatures auprès d’un public qui méritait plus de respect de la part de ses voisins. Le public blanc quand il voit ça, il est perdu. C’est un cinéma qui ne se remet pas en question. Quand vous avez la chance d’avoir un réalisateur qui propose une autre vision pour rééquilibrer, on lui propose le Parcours du combattant comme avec Euzhan Palcy. [NDLR Euzhan Palcy a réalisé le film documentaire Parcours de dissidents]

« Frantz Fanon aurait été dans une profonde désolation pour l’espèce humaine, car il prônait la réconciliation […] Black Lives Matter, c’est du Black Panther 2.0. »

Black News : Qu’est-ce que penserait selon vous Fanon de Black Lives Matter ?

Jean-Claude Barny : Pour moi, c’est une vraie force d’opposition nécessaire, mais Fanon aurait été dans une profonde désolation pour l’espèce humaine, car il prônait la réconciliation. Il avait l’ambition de nous préparer à un homme nouveau délesté de tout préjugé et de toute accaparation territoriale, et finalement ce sont les suprémacistes qui ont de nouveau regagné le terrain. Du coup, ça reconsolide la communauté. Black Lives Matter, c’est du Black Panther 2.0.

Black News : Est-ce que l’Etat alimente les préjugés systémiques ?

Jean-Claude Barny : Oui, à partir du moment où toutes les frictions que nous avons en France sur le bien vivre ensemble sont dues à deux visions contraires sur le mot égalité ; pour les communautés, c’est vécu comme une injustice, elles qui réclament de la considération et du respect et aucune discrimination du fait de leur culture ou de leur éducation religieuse. Et de l’autre côté, l’Etat parle de justice qui est très souvent symbolisée par les gendarmes, la police ou l’armée selon la géographie face à la France.

Black News : Est-ce que l’on pourrait vous comparer à Spike Lee dans votre façon de travailler ?

Jean-Claude Barny : Skipe Lee n’est pas une référence que pour les Noirs. Il fait référence à tous ceux qui font un travail sincère sur leurs sensibilités, comme Almodóvar ou Terrence Malik. A chaque fois que chez un réalisateur on tire sur un fil, on le découvre film après film.

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