Desmond Tutu, le combattant anti-apartheid à la toge

Ce qui caractérise ce combattant anti-Apartheid de la première heure, compagnon de Nelson Mandela et prix Nobel de la paix en 1984, c’est son double engagement : sa lutte inébranlable contre le système oppressif de son pays et sa dévotion et foi constante dans le combat contre l’injustice. Il est décédé le 26 décembre, à 90 ans.

Un faux-pas exploité à dessein

A l’annonce de sa mort, plusieurs médias français, comme à l’accoutumée, ont relayé ce faux-pas, cette déclaration malheureuse de Desmond Tutu dans laquelle il affirmait sans ambages « Ce gouvernement est pire que celui de l’apartheid », en parlant de celui formé par l’ANC. Obnubilé sans doute par sa quête d’une nation arc-en-ciel parfaite- on lui attribue l’expression -, issue de la philosophie « Ubuntu » qu’il partageait avec Nelson Mandela, cette déclaration fera néanmoins tâche sur son parcours sans faute. Car qui peut imaginer, même pour nous qui n’avons pas vécu dans nos chairs cette sombre partie de l’histoire de l’Afrique du Sud, que la période post  Commission de la vérité et de la réconciliation qu’il présidait puisse être pire que la précédente ? Qui ne se souvient de ces enfants abattus tels des animaux, de ses chiens qui sautaient à la gorge des enfants sud-africains, de ces débandades pendant lesquelles les morts se comptaient par centaines ? Non, Desmond Tutu, il n’y avait pas pire que l’apartheid.

Dans d’autres circonstances, il qualifiait Robert Mugabe, le libérateur adulé de la jeunesse africaine de Dr Frankenstein (sic). Il n’avait pas compris que tout ce que l’Occident vomit, la jeunesse africaine s’en revendique. Juste un changement d’époque, de mentalité.

Cela ne saurait occulter la part honorable prise dans ce combat qui a amené la liberté aux Sud-Africains.

Le pourfendeur des inégalités

On ne lui reprochera pas d’avoir mis les pieds dans le plat en 2011, lorsqu’il dénonçait les nouveaux ministres noirs riches à qui il demandait de vendre leurs voitures luxueuses, et parallèlement demandait au gouvernement de taxer les Blancs pour avoir bénéficié des fruits de l’apartheid. 

Deux ans auparavant, il refusait d’apporter son soutien à Jacob Zuma pour l’élection à la présidence de la république, car critique-t-il, « c’est une démocratie sous la coupe d’un seul parti » et surtout pour ses dérives. Quand on voit la fin de Zuma, on serait tenté de lui donner raison.

En 2008, il défend le controversé – ça dépend pour qui -, pasteur Jeremiah Wright, soutien de Barack Obama qui a vite, sous la pression de l’Amérique bien-pensante, pris ses distances avec le suscité. Et pourtant, comme l’affirmait Desmond Tutu, Jeremiah Wright dit « ce que presque n’importe lequel Afro-Américain aurait envie de dire : la race est un enjeu central ». C’est dire ce combattant iconoclaste n’avait pas sa langue dans sa poche.

En 1977, Desmond Tutu fait l’oraison funèbre de Steve Biko, fondateur du Mouvement de conscience noire et coorganisateur des émeutes de Soweto, assassiné. C’est le moment choisi pour s’attaquer aux injustices raciales et au système oppressif de l’Apartheid.

Opposé à l’homophobie, il suggère également que chaque être puisse décider du moment où il quittera la terre, en totale contradiction avec ses vœux. Tout au long de sa vie, il aura défendu « la veuve et l’orphelin ».

Son engagement théologique

Né dans le Transvaal en 1931 d’un père enseignant et d’une mère ménagère, il déménage à 12 ans avec sa famille à Johannesburg. Victime de la poliomyélite, contractée à 4 ans, le jeune Desmond rêve de devenir médecin, mais les études coûtant trop cher, il s’oriente vers l’enseignement qu’il exercera entre 1951 et 1954. Il en démissionne en 1957 pour protester contre l’enseignement destiné aux Noirs, après un mariage et quatre enfants.

Il s’oriente ensuite vers la religion anglicane et est ordonné prêtre à 30 ans. Il s’installe ensuite avec sa femme et ses enfants à Londres, et obtient en 1966 une maîtrise en théologie au London King’s College. Il retourne en 1967 en Afrique du Sud, où il exerce comme professeur de théologie. Puis, en 1975, après un séjour de trois ans encore à Londres, il est nommé doyen du diocèse de Johannesburg. Il est alors le premier Noir à ce poste.

On lui propose donc un luxueux logement de fonction, normalement réservé aux Blancs, qu’il refuse pour s’installer dans un des quartiers de Soweto, lieu des émeutes de 1976 aveuglement réprimées dans le sang. Il s’initie à la théologie de la libération venue d’Amérique latine.

 

Elia Hoimian

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